COMMENT FAIRE… POUR TRAVAILLER DANS L’AUTOMOBILE ? (PARTIE 3)

Février 1999, présentation de l’équipe « Brand Management » dans le journal interne Opel France (collection personnelle)

Après les pérégrinations déjà narrées, les choses sérieuses vont commencer. Bienvenue dans l’entreprise des années 90, dans le monde merveilleux des pré-embauches (ou pas) en CDD reconductibles pendant des durées… indéterminées !

Novembre 1996. 4 mois après la fin de mon stage chez Audi France, je ne croule pas sous les opportunités professionnelles. Il y a bien cette piste de CDI chez Ford Financement, mais trop éloignée du Produit automobile. Et sinon, il y a cette touche chez Opel France pour un poste d’assistant Chef de Produit, qui me parle beaucoup plus. C’est un CDD de 2 mois seulement ; qu’importe, c’est dans mes cordes, je plonge !

A la base, la mission était très ciblée sur JATO. Il s’agit d’un progiciel à destination des services de Marketing automobile, qui comprend une gigantesque base de données recensant tous les modèles d’un marché national, incluant leurs caractéristiques techniques et -surtout- leur contenu équipement, dûment renseigné par les analystes du fournisseur. Associée à un logiciel spécifique, cela permettait de sortir avec en un instant des analyses exhaustives de positionnement prix / produit, y compris dans le cadre de produits futurs que l’on pouvait créer soi-même. Un outil puissant… quand il fonctionnait. JATO venait en effet de connaître un changement de version majeur et c’était panique à bord tant les bugs étaient nombreux. De plus, les Chefs de Produit de l’équipe Opel France le connaissaient pour la plupart assez mal, ce qui donnait d’autant plus de pertinence à ma venue puisque j’en avais appris les rudiments pendant mon stage.

Au bout de 2 mois, le fonctionnement de JATO est toujours aussi désastreux, mais le besoin demeure et ça se passe plutôt bien pour moi. Mon CDD de 2 mois est alors reconduit pour un autre CDD de… 2 mois. Au terme de celui-là, bis repetita : reconduction pour un CDD de 9 mois cette fois-ci, avec forcément une mission différente (en théorie, sur le papier) puisque la reconduction au-delà d’une fois pour la même mission était interdite légalement. Les RH m’ont d’ailleurs demandé de détruire mes CDD précédents, ce qu’en bon soldat j’ai fait scrupuleusement ! Opel France, comme un certain nombre d’autres entreprises, n’hésitait pas à prendre beaucoup de libertés avec la loi ; avec mes 3 CDD j’étais un petit joueur, Gaël de Beauchesne, un de mes collègues à la Pub (avec qui je suis toujours en contact amical), les ayant empilés pendant 3 ans et demi (toujours sur le même poste, dont un contrat… d’1 semaine !), tandis qu’un autre à la Promotion en avait cumulé pas moins de 9 – aucun des deux n’ayant finalement été confirmés dans l’entreprise !

Avec Fabrice Cinquin, le hiérarchique qui m’a recruté, les choses se passent bien, et au-delà de JATO, je commence à me voir confier d’autres tâches d’Assistant Chef de Produit comme des argumentaires Réseau (« La boîte auto au prix de la boîte manuelle », par exemple). Je deviens également de plus en plus impliqué dans la préparation du lancement de l’Astra G. Puis, mi-97, se profile une réorganisation où le périmètre de la fonction Produit va se voir élargi en devenant « Brand Management » avec à la clé la création de 2 postes d’assistants permanents, dont l’un est ouvert à recrutement potentiellement externe. Je me positionne dessus, en face d’un autre collègue en CDD, Gaël de Beauchesne justement. Dès le départ, les dés semblent pipés en sa défaveur mais, afin de donner l’impression d’objectiver les choses, le processus fait intervenir un cabinet de recrutement avec une batterie d’entretiens et de tests sur toute une après-midi (pour un simple poste d’Assistant Produit !). Mon « concurrent » Gaël avec qui je m’entends très bien par ailleurs, passe en premier, n’a pas un bon feeling, et, très fair-play, me tuyaute pour que je réussisse au mieux. Je lui en ai toujours été reconnaissant ; et cela ne l’a pas empêché de poursuivre une très belle carrière par ailleurs. Toujours est-il que c’est moi qui décroche le graal : un CDI !

CDI qui vient donc « casser » mon CDD en cours, mais mon ancienneté de « déjà » 9 mois ne m’exonère pas pour autant d’une période d’essai ! Fixée à 3 mois à l’époque pour un Cadre et renouvelable 1 fois… et c’est là que ça devient cocasse : au-delà du renouvellement de ma période d’essai alors que je suis déjà connu depuis 1 an et que je donne satisfaction, la lettre qui m’en informe est très maladroitement copiée-collée de celle utilisée pour les District Managers qui font un métier très différent. Outre la perception qui m’est attribuée que cette période ne m’a pas encore permis de m’assurer que ce poste répond bien à mes attentes (en 1 an, mwarf !), on me dit sans sourciller que « vous n’avez pas encore pu exercer concrètement l’ensemble des responsabilités qui sont les vôtres sur le secteur qui vous est attribué et être, notamment, en relation avec les Concessionnaires ».

Les RH d’Opel France ou le degré zéro de l’inspiration pour le courrier de renouvellement de ma période d’essai…
Pour mémoire, je suis dans le poste depuis exactement 1 an ! (collection personnelle)

Bref, la vie suivra son cours et j’occuperai ce poste pendant un peu plus de 2 ans, avant de voguer par « forte incitation » vers les rivages de l’Après-Vente. Fabrice, devenu mon mentor, m’apprendra beaucoup et je le verrai partir très loin et trop tôt avec regret, même si nous sommes toujours restés en contact amical depuis. J’ai des souvenirs marquants que je vous raconterai peut-être plus en détail, des bons (le lancement Astra G à Marrakech…) comme de moins bons (le séminaire « Différence Opel » à Sitges…).

Parmi les anecdotes, l’une m’est restée en tête encore aujourd’hui, car tellement significative de l’approche de General Motors. A l’occasion d’une formation pricing organisée par GM Europe en 1997, je me suis retrouvé à dîner avec un Cadre allemand travaillant au siège de Rüsselsheim, et qui commence à me demander quelles étaient mes motivations pour travailler pour Opel. Moi, candide : « parce que je suis passionné par l’automobile ! » Et lui, du tac au tac et très assertif : « ça ne sert à rien la passion pour l’automobile ! Ce qu’on fait c’est du business ! »

Eh oui, les « bean counters » (« compteurs de haricots ») étaient dans la place comme le ver est dans le fruit. Opel ne battra plus jamais son record de 1996 en volume comme en pénétration sur le marché français ; plus généralement, victime d’une politique Produit sans âme et d’une qualité devenue trop longtemps désastreuse, cette Marque ne sera plus jamais rentable, jusqu’à être rachetée puis remise à flot par PSA à la fin des années 2010. Les choses auraient-elles été différentes avec un peu plus de passion automobile ? Nul ne le saura jamais…

Décembre 1997, dans un hôtel de Roissy, sous la neige : ambiance plutôt sinistre pour cette peu folichonne formation pricing de GM Europe.
Entouré d’une majorité de « bean counters », je suis debout, au centre, en chemise gris clair. (collection personnelle)

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