UNE AUTO, UN MORCEAU : ALFA 90 & TULLIO DE PISCOPO

 Automne 1984, Tullio de Piscopo fait la pause déjeuner au milieu d’un road trip en Alfa 90 dans la si typique campagne toscane.
Tellement cliché -à dessein… mais marrant à imaginer ! (image générée par IA)
 

Je vous emmène aujourd’hui dans un univers vaguement improbable et carrément intimiste avec une auto que vous avez à peu près tous oubliée, et un morceau dont peu d’entre vous doivent se souvenir, si tant est qu’ils l’aient jamais entendu. Ils ont en commun un pays, l’Italie, et une époque, le milieu des années 80. Plongée dans la malle à souvenirs du grenier, tout en-dessous de la pile.

Je n’ai pas forcément choisi la facilité en faisant un billet sur l’Alfa 90, et pourtant cette auto présente quelques points intéressants. Elle naît fin 1984, dans une période de vaches maigres pour Alfa Romeo, notamment au niveau financier, et de traversée du désert dans le haut de gamme puisque l’Alfetta est alors sous respiration artificielle et que l’Alfa 6 aurait déjà du subir l’euthanasie (ce qui, du reste, ne tardera pas à lui arriver). Le résultat d’une politique Produit erratique qui donne notamment la réputation à la 6 d’un des développements Produit les plus longs (11 ans !) de l’Histoire de l’Automobile, aboutissant à son obsolescence à peine les roues posées dans les show-room. La malédiction du « 6 » (pourtant non triple) à ce niveau frappera d’ailleurs Citroën de la même manière 25 ans plus tard…

Ceci étant posé, l’étude de la 90 va bien entendu pâtir de ce contexte et se réorienter vers un concept déjà éprouvé mais qui connaîtra pleinement son heure de gloire plus tard, le « carry over ». En effet, l’auto, qui devait initialement bénéficier d’une nouvelle plate-forme, devra finalement se contenter de réutiliser celle de l’Alfetta qu’elle remplacera, qui date donc du début des années 70, et sur laquelle Bertone va s’efforcer de faire un « reskin » plus ou moins habile. Tout en devant réutiliser la cellule centrale ce qui n’est pas la moindre des contraintes.

Bertone fera ce qu’il pourra… Mais le résultat évoque, c’est selon, une Fiat Regata un peu étirée ou une grosse Renault 9.
(collection personnelle)

Concernant l’esthétique, l’accueil est mitigé face à ce qui ressemble quand même beaucoup à un gros restyling de l’Alfetta. L’Auto-Journal écrit dans son essai du 15 janvier 1985 : « Esthétiquement, l’Alfa 90 apparaît disgracieuse. (…) C’est une voiture que, personnellement, j’aime regarder de face et mes réserves pour la vue de profil se transforment en désapprobation si je considère la silhouette de trois-quart arrière ou carrément de dos. (…) Je déplorerai envers et contre tout un certain manque de personnalité. »

Je partage complètement cette opinion. Je trouve l’auto plutôt élégante et -relativement- moderne -à sa sortie- dans toute sa partie AV, mais clairement l’AR n’est pas l’aspect le plus réussi, avec notamment une intégration de la plaque d’immatriculation et du feu de recul plus que discutable.

Les différents supports de communication, dont le film de lancement, semblent vouloir compenser le manque d’innovations et de crédibilité par une approche manquant clairement d’humilité.

Le film de présentation Produit, pompeux à souhait, à commencer par l’intro et le decorum, et qui essaie de verser dans le technologique
et -donc- le futuriste (sauf pour la musique !). Un emballage franchement kitsch pour tenter de masquer la conception ancienne de l’auto dès son lancement ? Notez à partir de 4’32” la mise en scène du dépassement… hasardeux ! (source : youtube.com/@alfone1973)

1ère et dernière de couv’ du catalogue 1986, plutôt classe avec les codes « à l’allemande », noir et argenté. J’ai aussi le dépliant 8 pages de la même année, qui a la même couverture avec moindres grammage de papier et qualité de glaçage. (collection personnelle)

A droite, la très originale, à défaut d’être pratique, disposition des commandes dont vitres électriques (AV/AR) au plafond.
La DS5 s’en inspirera en partie bien plus tard. (collection personnelle)

A l’instar du film de présentation Produit, le catalogue ne fait pas dans l’humilité : l’Alfa 90 y est présentée comme « une idée neuve de l’Automobile », dont « les solutions technologiques qu’elle propose jettent les bases d’une nouvelle conception de l’automobile ». Rien que ça !

Même s’il faut souligner que la 90, pourtant de facture très classique, trouve le moyen de se singulariser par quelques détails insolites.

L’Alfa 90 dispose d’un original spoiler actif à pistons à gaz, qui se déploie en fonction de la vitesse. D’habitude la réflexion porte plutôt sur des ailerons mobiles comme sur la Thema 8.32, la Porsche 964 ou, plus récemment, la Citroën C6. (collection personnelle)

La V6 recevait une instrumentation digitale, summum de la modernité peu répandu à l’époque. Sauf que, outre la lisibilité, il lui manquait la fiabilité… Il était également prévu, en lieu et place de la boite à gants, un logement pouvant accueillir… un attaché case amovible
spécifique ! Disponible en accessoirie (astérique en bas à droite) et tellement 80’s… (collection personnelle)

Les caractéristiques techniques faisaient l’objet d’un feuillet à part dans un papier imitant vaguement la qualité du Canson.
(collection personnelle)

Dépliant 8 pages de 1987, dernière année de commercialisation. (collection personnelle)

La carrière de la 90 sera exceptionnellement courte, à peine 3 ans. Née dans une certaine douleur, pas assez longue et habitable pour être considérée comme un haut de gamme à part entière, elle n’arrivera jamais à lutter contre des rivales plus modernes et statutaires, à commencer par la Lancia Thema. Assez paradoxalement, le coup de grâce viendra de sa propre famille dès 1986 avec le lancement de la 75, d’un gabarit surprenamment quasi identique, et surtout dotée d’autrement plus de caractère ce qui lui octroiera d’emblée un statut de « vraie Alfa » pour les passionnés de la Marque. En plus de cette cannibalisation, le dernier clou dans le cercueil sera planté en 1987 avec la sortie de la 164, incomparablement plus aboutie et d’une appartenance naturelle à la catégorie supérieure.

Pour autant, avec un peu plus de 56 000 unités, la production de cette (somme toute) bâtarde technique et Marketing n’en fit pas un flop absolu. Mais il est clair que vous n’en croiserez pas à tous les coins de rue, d’autant que la rouille a depuis fait son office vorace.

Match avec la 505, organisé par Peugeot dans le cadre de ses comparatifs concurrence avec une relative indulgence,
même si c’est l’occasion pour Jean-Louis Trintignant de lui faire faire un magistral travers ! (source : citrovideo.fr)

Stop Bajon de Tullio de Piscopo date de 1984, l’année de la sortie de l’Alfa 90, et je trouve que ce morceau s’accorde assez bien à l’auto. A peu près aussi peu connus l’un que l’autre, ne faisant pas de leur modernité leur atout premier, venant après une carrière déjà remplie, ils jouent avant tout d’une certaine force tranquille qui n’exclut pas certains moments plus intenses, quand le rythme s’intensifie à 3’04”, comme un V6 Busso montant tout d’un coup dans les tours. Il faut dire que la spécialité du napolitain Tullio de Piscopo est la batterie et les percussions, une des forces de ce morceau. Ses styles de prédilection sont essentiellement le jazz et le blues, ce qui fait de Stop Bajon une sorte d’anomalie dans son répertoire, un peu comme la 90 en tant que haut de gamme provisoire dans la gamme Alfa. Le morceau atteindra tout de même la 1ère place des charts italiens, et connaîtra une honnête carrière en discothèque, notamment en France. De là à avoir plus marqué les souvenirs que l’Alfa 90? Pas sûr… ça valait bien une réhabilitation !

En version longue, la meilleure ! Vidéo visiblement re-montée à partir de l’enregistrement de la version courte, mais qui permet de voir
les look d’époque. Et pour avoir un aperçu de ses talents de batteur -en V.O.-, c’est par ici ! (source : youtube.com/)

Share This