COMMENT FAIRE… UNE SÉRIE SPÉCIALE ? (PARTIE 1)

Le Berlingo Bivouac phase 1 avec son badge spécifique : mon unique réalisation en matière de série spéciale ! (collection personnelle)

La série spéciale est un des outils classiques du Marketing Produit automobile pour animer le cycle de vie d’une voiture, et ainsi soutenir sa courbe de ventes et sa part de marché. « Est », ou plutôt « était », car les normes et la rationalisation industrielle ont progressivement eu la peau du concept.

Les premières séries spéciales sont apparues sur le marché européen avec la VW Coccinelle Jeans, et la Simca 1000 Extra. C’est Citroën qui a plus popularisé le concept vers la fin des années 70, avec la 2CV Spot, puis les Dyane Caban, GS Basalte, Visa Carte Noire, Visa Sextant… A tel point qu’une vraie petite équipe, dédiée aux couleurs et garnissages, sera constituée pour élaborer des propositions, trouver des noms, des univers, et développer des nouveaux « emballages » graphiques puis des co-branding.

Les années 80 seront l’âge d’or des séries spéciales et de la créativité qui les sous-tend. C’est la grande valse des garnissages, des jantes, des volants, des logos et stripping… Tous les constructeurs s’y mettront, et tous les univers ou presque y passeront : le sport, la mode, l’aventure, la hifi, les émissions TV… Les années 90 seront également très riches en la matière, par exemple avec les déclinaisons à succès Roland-Garros chez Peugeot. Hélas, les équipements imposés et les normes vont venir par là-dessus dans les années 2000 et brider progressivement toute créativité.

En tant que Chef de Produit Citroën France nouvellement nommé en 2001, vous vouliez renverser la table et créer une Série Spéciale marquante ? Comme dans les années 90 ? Très bien. Vous voulez changer un volant pour récupérer la version sport d’un autre modèle de la gamme ? Bah non, pas possible, à cause de l’airbag qui doit être testé et validé dans ce modèle, 1 an dans la vue et je ne parle même pas des coûts. Vous avez l’idée de récupérer les jantes de la copine, qui sont plus ou moins dans les mêmes dimensions ? Perdu ! Il faut passer les tests de vieillissement sur votre modèle pour se border qu’elles ne risquent pas de se fissurer au fil du temps ; en effet ce qui est vrai sur Xsara ne l’est pas forcément sur Berlingo… et tout est à l’avenant. Tous les éléments différenciants disponibles « sur étagère » demandent une validation, les peintures existantes sur un modèle ne le sont pas facilement et immédiatement sur un autre parce que chaque cabine de peinture en usine est limitée en diversité et qu’il n’est possible de rajouter une teinte qu’en en supprimant une autre…

Le résultat est forcément pauvre (quand il existe) et j’ai un exemple précis en tête. Quand je le connais à mon entrée chez Citroën, Jean-Luc P. est Chef de Produit Xsara à la Direction Produits Marchés Citroën (Marketing central, c’est donc lui qui pilote la vie Produit alors que, étant Chef de Produit à la Filiale France, je suis son « client » interne) en charge de Xsara, un produit qui a déjà fait sa mi-vie (face-lift) et qui n’a rien de franchement sexy en vie courante. Il ne se passe rien, il n’a aucune animation prévue dans son cycle de vie Produit, mais visiblement il a un « Objectif de Performance et de Progrès » annuel qui consiste à sortir coûte que coûte une série spéciale sur un produit qui ne s’y prête aucunement… Le pauvre fait ce qu’il peut avec ce qu’il a et c’est comme cela que nait la série spéciale lunaire Xsara Citroën Sport, basée sur la 2.0 16V VTS 167 ch qui ne fait même pas 1% du mix et qui est complètement dépassée en 2002 face à la concurrence (la C4 prendra la relève 2 ans plus tard). Dans l’intention affichée de surfer sur les premiers exploits de Citroën Sport et Sébastien Loeb en WRC, la Xsara est dans l’évocation et le parti pris avec sa teinte Rouge Vallelunga (non métal, « pétard ») ; le reste est prélevé sur étagère ou en accessoirie, comme les jantes blanches ou le kit carrosserie. Bricolage sans exclusivité, en plus d’être basé sur un modèle « de niche », le produit final présente ainsi un intérêt pour le moins douteux.

Un parfait candidat au rôle de nanar, tiré à 400 exemplaires, que Citroën France entend pourtant doter à raison d’une par point de vente. Imaginez l’horreur de ces derniers quand ils se voient infuser la chose en véhicule d’exposition / démonstration, invendable ou presque ! Il y aura de tout, entre points de vente qui trouveront de suite le client original qui les en débarrassera, et ceux (la majorité) qui passeront plusieurs mois avec la chose scotchée dans leur show-room…

Tellement glamour et confidentielle qu’elle ne justifiera pas (chose rare) l’impression d’un catalogue dédié, la seule présence en média qu’elle aura jamais sera dans une brochure promotionnelle distribuée en boite aux lettres début 2022 ! Si on avait voulu l’enterrer, on ne s’y serait pas pris autrement…

Brochure « les jours €urophoriques Citroën » pour la période du 10 au 26 janvier 2002. Noyée au beau milieu de « la foire à la saucisse »,
la Xsara Citroën Sport, à peine lancée, est déjà prête à tomber dans l’oubli. Ne cherchez pas d’autre trace d’elle en media, il n’y en a pas ! (collection personnelle
)

2002 toujours. Je vais vivre la même injonction à développer une série spéciale, mais en tant que Chef de Produit Citroën France, c’est-à-dire avec encore moins de moyens, contraint à bricoler « sur étagère » ! Il se trouve que j’ai dans mon portefeuille un produit que, curieusement (quand on connaît mes goûts automobiles) j’affectionne particulièrement : Berlingo, avec sa gamme lisible et son encadrement tarifaire très strict puisque la règle est d’être toujours iso prix / équipement avec Peugeot Partner (sauf séries spéciales). Il se trouve aussi que j’ai en interlocuteur à la Direction Produits Marchés un Chef de Produit dynamique et constructif, en plus d’être sympa et drôle : Christophe H.

C’est avec lui que nous allons développer une série spéciale de « run-out » (fin de vie) sur cette génération M49 (Phase 1). L’idée est de partir du Niveau 1 en lui mettant quelques équipements valorisants avec un avantage client, et une sellerie qui n’existe pas sur Berlingo, reprise de Xsara. Christophe me met en garde : cette sellerie, le tissu « Hanoi », qui a pourtant l’air assez quali en photo, est cheap en vrai. Je ne l’écoute pas et je reste ancré sur ce drap anthracite à petits motifs colorés, sans le voir à cause de délais de développement tendus. Ce n’est qu’un peu plus tard, quand mes parents auront acheté une Xsara Break X (niveau 1), que je découvrirai ce garnissage en vrai, pour constater que le rendu est en effet très « entrée de gamme »…

Pièce rare (je pense), le catalogue Berlingo Bivouac phase 1. En page intérieure la fameuse sellerie Hanoi mieux en photo qu’en vrai,
et le nuancier de teintes incluant -forcément- le Sable Bivouac. (collection personnelle)
 

Cerise sur le gâteau, Christophe, qui n’a pas d’enveloppe budgétaire dédiée pour développer ce produit, parvient quand même à racler un fond de tiroir pour « me » développer un badge spécifique « Bivouac », plutôt sympa. J’avais sélectionné cette appellation pour son côté « outdoor » en phase avec Berlingo, et surtout parce que c’était la seule sympa disponible (déposée à cause de la teinte Sable Bivouac) en banque de noms !

L’argumentaire Vendeurs du Berlingo Bivouac. Dans ces années-là, les taglines de ce genre de document,
œuvres de Michel T., n’avaient souvent ni queue ni tête et c’était assumé ! (collection personnelle
)

S’agissant d’une entrée de gamme, les volumes sont limités (2 000 exemplaires), d’autant que l’offre est restreinte aux 2 petits moteurs, mais l’écoulement commercial sera quand même honnête. Certes, ça tire un peu le « mix Produit » vers le bas (Niveau 1+) ce qui n’a rien d’anormal en phase de run-out pour un généraliste, mais ça génère des volumes additionnels et ça renforce le positionnement « outdoor » du Berlingo, qui lui fait défaut face à Peugeot Partner et sa très réussie version Ushuaïa.

Les brochures promo de juin, septembre et octobre 2002, à la grande époque où la Marque se positionne en championne des remises.
Ce sera l’unique médiatisation du Berlingo
Bivouac Phase 1. (collection personnelle)

Je croiserai, rarement, « mon » œuvre dans la vraie vie ce qui me tirera à chaque fois un sourire. Le concept a d’ailleurs bien pris puisque dans la gamme du Berlingo Phase 2 (M59), le niveau 2 de gamme régulière a repris l’appellation Bivouac avec le fameux badge qui va avec ! Cette appellation perdurera même au-delà en désignant le niveau 1 du remplaçant B9 à partir de 2008. 10 ans de longévité pour un nom choisi « sur un coin de table », pas si mal, non ?

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