COMMENT FAIRE… UNE POLITIQUE GARANTIE ?

Client, DM, Chef d’Atelier… La Garantie, une aimable (ou pas) discussion où chacun défend des intérêts divergents !
Régulièrement, et pas plus tard que récemment (moteurs PureTech, airbags Takata…), la politique Garantie des Constructeurs est sous le feu des projecteurs, et souvent des critiques. Voici comment ça se passait chez Opel au début des années 2000, sous un angle volontaire de vulgarisation.
Novembre 1999. Après 3 ans passés au Marketing Produit, je n’ai pas vraiment eu le choix que d’accepter l’invitation qui m’a « aimablement » été adressée par Opel France, d’aller me dégourdir les jambes sur le « Field », le « Terrain », en tant que DM Après-Vente (District Manager, soit Responsable de Secteur dans la langue de Molière). Dans ce genre de structure, ce type de parcours est la norme, qui fait alterner postes fonctionnels et postes opérationnels. Je n’y vais pas dans les meilleures dispositions, car je trouve l’activité trop éloignée de ma passion automobile. Et encore… je ne sais pas que le District Midi-Pyrénées pour lequel je me suis porté volontaire puisqu’il s’agit de ma région de cœur, est loin d’être facile relationnellement, avec de fortes individualités qui se liguent. Je suis assez peu conscient qu’avec une formation minimale, je vais être jeté en pâture à des professionnels aguerris qui n’ont pas les mêmes intérêts que moi. J’imagine encore moins quel bazar est en train de devenir l’Après-Vente chez Opel en 99 -2000.
Très schématiquement, le DM Après-Vente fait l’interface entre les services du Siège et les Concessions de son District, sur lequel il est d’ailleurs (en théorie) basé géographiquement pour pouvoir assurer des tournées régulières. Outre ce rôle de courroie de transmission de l’information, il est responsable de 2 axes :
- Le développement du Chiffre d’Affaires Pièces de Rechange et accessoires (et, moins directement, des heures facturées) de son District ; ponctuellement il peut mener des campagnes de déstockage, par exemple de batteries, d’huile, de pneus, de pièces de carrosserie…
- La progression de la satisfaction client, par la mise en œuvre des standards du Constructeur, et aussi par l’application de la politique Garantie, qui nous intéresse plus précisément.
La politique Garantie est à la croisée d’enjeux pour le moins divergents, voire contradictoires :
- Le Client cherche à faire valoir ses droits et à minimiser sa dépense tout en maintenant la valeur de son véhicule ;
- Le Constructeur cherche à minimiser ses coûts Garantie le plus possible puisque ce sont des sorties nettes d’argent ; par contre il cherche à trouver un équilibre afin que son image pâtisse le moins possible de sa politique Garantie voire en tire profit ;
- Le Concessionnaire cherche plutôt à satisfaire son client, qui le fait vivre et avec lequel il est en contact régulier, mais sans trop se faire repérer et taper sur les doigts pour indulgence par le Constructeur, sachant par ailleurs que son intérêt n’est pas de traiter des garanties, car, remboursées au minimum par le Constructeur, c’est une activité obligatoire mais peu rentable ;
- Le DM est chargé de trouver le meilleur équilibre entre tout ce beau monde, sans jamais oublier qui l’emploie et le rémunère : le Constructeur.
Autant dire que l’application de la politique Garantie peut faire l’objet, dans certains cas, de négociations acharnées entre ces différentes parties prenantes. Il y a pour le Concessionnaire et pour le DM une dimension supplémentaire : les indicateurs Garantie sont suivis au mois le mois par Concession, et en cas de dérive, un audit Garantie peut être diligenté sur une Concession donnée (et son DM bien entendu). Quand je vais vous exposer la complexité administrative du système, vous pourrez effleurer l’ampleur de la catastrophe que représentait le déclenchement (rare, heureusement) d’un audit pour les intéressés…
Une autre dimension n’était pas à écarter : celle du marchandage, on va dire la bonne entente entre Concessionnaire et DM. Tentant de fermer les yeux sur une Garantie un peu limite que seul le DM peut valider, en échange de bons services comme la souscription au déstockage du moment… Il pouvait aussi y avoir une notion d’enjeu : la voiture d’un particulier ne bénéficiait pas de la même mansuétude que celle d’une Flotte, a fortiori s’il s’agissait d’un loueur courte durée…
Bref. Tout d’abord, il faut s’entendre sur ce qui peut faire l’objet d’une prise en charge en garantie, et le reste. Par définition, la Garantie ne peut prendre en charge la conséquence d’une mauvaise utilisation du véhicule. Parmi les cas les plus fréquents à ce niveau, citons par exemple l’usure prématurée de l’embrayage dont il était facile de rendre responsable le mode de conduite de l’utilisateur. Quoique… on voit bien que là on bascule déjà dans une certaine forme de subjectivité, ce qui n’allait pas sans occasionner certains litiges.
Un autre cas assez fréquent concernait des plaintes pour dégradation du vernis de peinture carrosserie. Charge au Chef d’Atelier puis au DM en cas de refus client (ce qui arrivait) de dire à l’utilisateur qu’il était en charge de nettoyer régulièrement sa voiture notamment en cas de stationnement sous les arbres. Dans les faits, on était passé récemment des peintures avec solvants aux peintures à l’eau, ce qui rendait les vernis considérablement plus vulnérables aux fientes d’oiseau, mais il ne fallait pas le dire…
Les prises en garantie de problèmes connus ne concernaient pas que la mécanique. Le Constructeur prenait par exemple en charge des garnitures plastiques qui blanchissaient (Corsa B) ou la capucine du Combo qui rouillait…
Il convient également de rappeler qu’à l’époque, à l’instar de tous ses concurrents, Opel France garantissait ses produits 12 mois.
Tout ceci étant posé, la politique de garantie pour Opel dans ces années là était une sorte de fusée à 3 étages, tous à la discrétion des Chefs d’Ateliers et des DM :
- premier étage de la fusée : la grille Matrix, ou l’application basique du principe de vétusté

Imprimée en couleur et plastifiée, et distribuée à chacune des 300 Concessions et des DM… (collection personnelle)
Chaque Chef d’Atelier et chaque DM en possédait un exemplaire régulièrement remis à jour : il s’agissait d’une grille de vétusté qui, en croisant l’âge du véhicule, son kilométrage et la date de l’OT (Ordre de Travail) donnait le coefficient de prise en charge maxi applicable selon le Constructeur. L’application de ce premier étage de la fusée était de la seule responsabilité du Chef d’Atelier, le DM n’en était pas informé a priori.
Pour passer cette garantie dans le système informatique il fallait rentrer lors de la saisie du dossier un « code autorité » à 5 digits, commençant par 2 (=Concessionnaire), les 2 digits identifiant la Concession, et 2 lettres spécifiques à chaque cas. On rentre de plain-pied dans l’usine à gaz…

Verso de la grille Matrix. Vous avez dit complexe ? Dans les plus grosses Concessions,
il y avait carrément une personne dédiée au traitement des garanties avec le Constructeur… (collection personnelle)
- deuxième étage de la fusée : la politique commerciale étendue, ou la reconnaissance de culpabilité du Constructeur
La politique commerciale étendue consistait en une feuille, régulièrement réactualisée, recensant les défaillances connues les plus récurrentes affectant le parc roulant, avec leur description, et les conditions de prise en charge et d’indemnisation hors limites de vétusté classique.

Répertoire de la non-qualité, fruit des choix des « compteurs de haricots » et de leur exécuteur des basses œuvres,
José Ignacio López, ancien Directeur des Achats de GM Europe… (collection personnelle)
Chaque Chef d’Atelier et chaque DM en possédait un exemplaire régulièrement remis à jour . Ce deuxième étage de la fusée était de la responsabilité du Chef d’Atelier qui en proposait l’application au cas par cas auprès du DM, qui validait (en général) ou non. Inutile de dire que j’en ai signé un paquet, parfois à la limite du travail à la chaine… avec une énorme montée en puissance des réfections moteurs dues à la surconsommation d’huile chronique des DI / DTI (problème de segmentation, entre autres…). Le discours officiel (qui devait donc être porté par le DM) était qu’une consommation d’huile sur ces moteurs était « normale » jusqu’à 1 litre aux 1000 km, et que c’était la faute du client si son moteur cassait alors qu’il n’avait pas vérifié son niveau d’huile…
Il va sans dire également que ce document était classé secret défense, que ce soit vis-à-vis des clients ou pire encore, de la Presse.
Pour passer cette garantie dans le système informatique il fallait rentrer le code à 5 digits, commençant là aussi par 2 (=Concessionnaire), les 2 digits des initiales du DM (« PT » pour moi par exemple), et 2 lettres spécifiques à chaque cas.
- troisième étage de la fusée : l’accord DM exceptionnel, ou le bouton nucléaire
On rentre là dans un domaine où la subjectivité prend le pas sur le raisonnement et les faits. Souvent à l’issue d’une âpre négociation avec le Chef d’Atelier, qui plaidait la cause, le DM pouvait prendre la décision de forcer le système informatique au-delà de la politique commerciale étendue en validant à peu près n’importe quelle opération aussi coûteuse soit-elle.
Pour passer cette garantie dans le système informatique il fallait rentrer le code à 5 digits, commençant cette fois (de mémoire) par 4 (=prise en charge exceptionnelle), les 2 digits des initiales du DM (« PT » pour moi par exemple), et 2 lettres au libre choix ne correspondant à aucun autre cas répertorié.
Autant dire que ces accords n’étaient pas si fréquents. Une partie d’entre eux concernait des locations de voitures à rallonge (parfois plusieurs mois) pour les clients immobilisés car Opel France avait également eu l’idée du siècle, en 1999, de modifier profondément son schéma de distribution des Pièces de Rechange en changeant de prestataire de transport. Résultat : des pièces qui n’arrivaient jamais, ou qui étaient livrées à l’autre bout de la France, sans que le Responsable Magasin y soit pour quoi que soit. Pour certains clients, c’était la double peine : un moteur DTI cassé pris en garantie mais avec des pièces qui n’arrivaient pas et des réparations qui trainaient… d’où des locations de véhicules de remplacement à durée parfois hallucinante. Tout ça au nom d’économies de conception, de production et d’organisation… dont certains des auteurs avaient fui leurs responsabilités en se recasant pour sévir à la concurrence…
Cadeau bonus : le cas de l’extension de garantie. Vous reprendrez bien un peu de complexité ?

Comme tous les Constructeurs, Opel France commercialisait une extension de garantie payante couverte par un réassureur, à qui le manque de fiabilité déplorable des produits de l’époque n’avait pas échappé. Il y avait donc accord pour que les problèmes connus soient pris en charge directement par la Marque, comme détaillé dans cette note. (collection personnelle)
J’espère que cet exposé, technique et pas facile à synthétiser, vous aura permis de mieux comprendre comment était appliquée la Garantie par Opel France au début des années 2000. Il faut surtout en retenir, outre l’usine à gaz administrative, le fait que les interlocuteurs directs ou indirects du client avaient pas mal de possibilités pour satisfaire tout ou partie des demandes, à leur discrétion. Un manque de transparence qui n’aidait pas toujours à comprendre les décisions…
J’ignore comment cette politique a évolué depuis, que ce soit pour ce Constructeur ou pour les autres, mais je ne serais pas surpris que les fondamentaux aient été conservés..