COMMENT FAIRE… UNE SÉRIE SPÉCIALE ? (PARTIE 3)

DS3 et Inès de la Fressange : deux territoires de marque faits pour se rencontrer ! Enfin, en principe… (source : citroen.com)

Des histoires qui peuvent sembler fluides voire évidentes de l’extérieur, comme celle consistant à réunir la DS3 et Inès de la Fressange pour une série spéciale chic, peuvent être beaucoup plus compliquées dans les coulisses. Souvenirs d’un projet qui ne fut pas un long fleuve tranquille, avec en bonus la réponse à la question qui pourrait éventuellement vous brûler les lèvres : ai-je rencontré Inès ?

Suite à l’arrêt brutal du projet 908/24 Heures du Mans qui m’a laissé (parmi tant d’autres) sur le carreau début 2012, dans une période compliquée pour l’emploi dans le Groupe PSA, j’enchaîne plusieurs missions en interne, comme une sorte de manager de transition en Marketing/Communication. C’est ainsi que j’arrive en janvier 2014 dans le service d’Adeline Esprit, qui s’occupe alors entre autres des partenariats pour la Marque Citroën. Je viens pour lui prêter main forte sur un sujet mal en point : la série spéciale DS3 Inès de la Fressange, non pas sur l’aspect Produit qui doit être géré par la Direction Produits Marchés, mais sur l’avancement plus global du projet et son accostage entre les différentes parties prenantes. Nous allons former un bon binôme, une mini-équipe de choc pour naviguer à travers les divers méandres politiques de quelque chose dont pas grand monde ne semble vouloir au départ…

Inès de la Fressange n’en est pas à son coup d’essai d’association avec l’automobile. 20 ans plus tôt,  elle avait « prêté » son nom et son image pour un partenariat, déjà avec PSA, mais pour Peugeot, avec la 106. Depuis, pas mal d’eau de la Seine a coulé sous les ponts, et « La Parisienne » a connu « fluctuat nec mergitur » dans l’exploitation de sa Marque personnelle, avant de la confier à une nouvelle société IDLF dirigée par l’homme d’affaires Fabrice Boé, que nous allons vite apprendre à connaître.

1996, Peugeot 106 Ines de La Fressange : déjà un positionnement « petite voiture chic »,
cependant dans un univers coloriel éloigné de celui de la future série spéciale DS3. (collection personnelle
)

Quand j’arrive dans ma nouvelle mission, le projet est quasiment au point mort, voire dans une impasse. Imaginé (sur proposition d’une agence spécialisée) et porté par la Direction Marketing Communication d’Arnaud de L., et plus précisément par le service d’Adeline à laquelle il appartient, il semble susciter scepticisme et méfiance de la part des autres parties prenantes, qu’il va falloir s’atteler à motiver. Ça va être notre job pendant les mois qui vont suivre, pour remettre tout le monde autour de la table et les convaincre du bien-fondé de l’idée. Ça concerne d’abord Citroën France, principal débouché commercial de la future série spéciale, et notamment Thomas Dagommer (à l’époque Responsable Produits et Lancements) qu’il faut rassurer sur la perception de la Marque IDLF, qui suscite questionnement quant à son positionnement perçu comme plutôt « bas de gamme » et son partenariat avec Uniqlo, là encore vu comme pas très valorisant. Ça va aussi consister à renouer le dialogue avec Fabrice Boé, ce qui n’était pas gagné de prime abord, car il n’était pas trop du genre à (re-)négocier ses propositions…

Fabrice Boé n’est pas la personne la plus sympathique et chaleureuse qu’il m’ait été donné de croiser au cours de ma carrière. Redoutable défenseur des droits de sa « franchise », il ne traitait, par principe, le dossier que sous son prisme juridique ; humainement, il transmettait essentiellement la sensation de froideur et de danger potentiellement mortel que l’on ressent communément à l’approche des reptiles venimeux.

Fabrice Boé, représentant des intérêts d’Inès de la Fressange, suscitait la crainte que l’on peut légitimement éprouver
face à un redoutable animal à sang froid. (source : bfmtv.com)
 

La négociation du contrat (dont la confidentialité est désormais caduque) dans ses détails sera bien entendu le point central de la relation avec lui. Très schématiquement, il prévoyait :

  • Le versement d’un droit d’entrée fixe de 110 000 €, ainsi que de royalties pour chaque unité produite à hauteur de 100 € par voiture (avec une prévision de 500 berlines + 50 Cabrio) ;
  • La réalisation préalable de deux concept cars (sur base THP 165) préfigurant les versions de série, destinés à supporter la médiatisation puis à être vendus aux enchères par Artcurial au profit de Mécénat Chirurgie Cardiaque.

Ce dernier point était une demande expresse d’Inès de la Fressange, qui était marraine de cette association, et qui en faisait une condition non négociable du deal. Par ailleurs, je ne l’ai pas dit mais vous l’aurez deviné, tout le processus, que ce soit la création ou la communication, était prévu pour être très encadré, afin de respecter l’image de la Marque Inès de la Fressange.

La relation avec Fabrice Boé reprend donc, et la négociation aussi, avec bien entendu la Direction Juridique dans la boucle. Pendant ce temps, le travail de la Direction du Style redémarre, dont quelques réflexions prospectives qu’il est amusant de remonter à la surface.

Pas mal de combinaisons avaient été imaginées, parmi lesquelles une berline à toit Rouge avec liseré ;
la version finale se contentera d’un toit noir plus consensuel. (source : collection personnelle + citroen.com
)

Pour le Cabrio, c’est la teinte de caisse rouge qui avait été -entre autres- explorée ; la version de (petite) série sera noire.
(source : collection personnelle + citroen.com)

En ce qui concerne l’intérieur, là aussi pas mal de combinaisons avaient été testées, dont ce bandeau de planche de bord bleu combiné
avec un cuir rouge. La version finale associera un bandeau « Rouge Inès » à un cuir bleu… (source : collection personnelle + citroen.com)

Le projet suit son cours en devant naviguer entre les demandes des différents intervenants. Pendant une période, le Commerce France est à deux doigts de tout annuler, alors que les choses commencent à être bien avancées, quand tout le monde réalise qu’Inès de la Fressange refuse d’associer son image physique à aucune des étapes du dispositif ; je vais y revenir. Un autre souvenir marquant sera cet entretien absolument lunaire et hors du temps que nous avons, Adeline et moi, par un magnifique vendredi après-midi ensoleillé, avec Jean-François B., notamment en charge de la promotion de Mécénat Chirurgie Cardiaque, que nous allons rencontrer, avec sa « gouvernante », dans sa villa du bout du monde dans un domaine privé hyper select du XVI° arrondissement (double pléonasme). Venus pour finaliser les détails de la vente des concept cars aux enchères Artcurial, nous en repartons avec une liste de courses de médiatisation propre à faire, une nouvelle fois, capoter le projet, sans pour autant donner en échange aucune garantie de présence physique d’Inès ne serait-ce qu’à la vente aux enchères. Il nous reviendra la tâche ingrate de devoir le ramener à la raison car nous n’avons absolument pas le budget pour répondre à ses demandes.

La grande frustration sera donc l’absence physique totale d’Inès de la Fressange tout au long du projet. Il eut été tout à fait pertinent, voire indispensable, de capitaliser sur sa présence et son image à toutes les étapes du plan de communication : présentation au DS World, « World Premiere » au Mondial de l’Auto, shooting photo avec les concept cars, participation au spot de pub… Non seulement le contrat ne prévoyait rien de tout ça, mais, par défaut, ne prévoyait rien du tout. Toute « personal appearance » comme cela s’appelait était possible mais facturée en sus d’un budget qui était déjà considéré comme élevé par la Marque. Même sa participation à la vente aux enchères, qui tenait pourtant à cœur à la principale intéressée, n’était pas prévue et n’eut pas lieu en dépit de nos demandes insistantes ; tout au plus consentira-t-elle, à la demande de l’association, au service minimum de faire figurer un unique cliché d’elle dans le catalogue de la vente pour incarner le sens de la démarche. Au demeurant, cela n’empêchera pas les concept cars d’être adjugés, bien qu’à des montants tout juste corrects : 25 000 € pour la berline (futur prix public : 24 900 €) et 27 000 € pour le Cabrio (futur prix public : 27 700 €), Artcurial offrant les frais d’adjudication. Pour la petite histoire, la berline se retrouvera en vente sur Le Bon Coin moins d’un mois plus tard, affichée à 26 800 €, dans l’espoir d’une hypothétique plus-value…

Ne cherchez pas, Inès de la Fressange n’apparaît à aucun autre endroit du projet que sur la page de gauche de ce catalogue de la vente
aux enchères du 2 Novembre 2014, et encore prend-elle soin de ne pas s’associer visuellement à la voiture ! (source : artcurial.com)

Pire encore, le film publicitaire réussit l’exploit d’évoquer « Inès » sans pouvoir jamais la montrer. Autant dire qu’en ce qui me concerne, je ne l’ai jamais rencontrée, de près ou de loin ! Au final, une frustration absolue de toutes les entités Citroën impliquées dans le projet, mais bon, business is business, et tant pis pour l’humain. Nous avons fini par comprendre que nous n’avions acheté qu’une Marque, non pas l’image d’une personne, mais seulement celle d’un nom que nous pensions connoté « chic ». Quoique… ce point va aussi nous réserver quelques surprises. D’abord, nous apprenons avant le lancement commercial de la voiture la conclusion d’un accord, jamais évoqué jusque là, entre IDLF et Carrefour pour lancer une ligne de bijoux fantaisie en grande surface, suscitant une certaine réprobation en interne, car emmenant la Marque bien loin de l’univers premium dans lequel nous voulions installer DS. Puis, encore un peu après, je découvrirai (avec un effroi fortement teinté d’un cynique amusement) et garderai pour moi (et pour Adeline), au détour d’un rayon de mon Leclerc, ce présentoir en carton, implanté entre deux promos pour un lot de saucissons et des packs de mouchoirs jetables, qui met en avant du linge de maison griffé IDLF…

Le challenge (réussi) du film publicitaire de la DS3 Inès de la Fressange : évoquer l’égérie sans la montrer, quitte à sensiblement dénaturer
le sens de la démarche Marketing, « juste » pour une question de droits à l’image. (source : dailymotion/@StartMotor
)

Vous reprendrez bien un dernier aléa pour la route ? Alors que, à la veille de sa présentation publique, le projet semblait enfin validé/claveté dans son intégralité par toutes les parties prenantes, il allait connaître un ultime rebondissement. Le concept-car berline avait toujours été prévu pour être exposé, en vedette sur un plateau tournant, sur le stand DS du Mondial 2014, dont il constituait, dans une actualité Produit assez pauvre, l’une des rares nouveautés marquantes. Or, 2 jours avant la première journée Presse, nous apprenons -incidemment- son inversion avec une autre voiture (sans intérêt particulier), pour que la « nôtre » atterrisse finalement en hauteur ! Non seulement elle est maintenant plus loin des yeux du public et dans une position anecdotique, mais son intérieur, qui a lui aussi une personnalisation, est également non accessible et non visible. Cette mesquinerie de dernière minute a tout l’air d’une vengeance sans appel de la Direction Produits Marchés de Thomas d’H. qui montrera ainsi jusqu’au bout combien elle ne croit pas au concept dont, pour une fois, elle n’est pas l’auteur…

La DS3 Inès de la Fressange scélératement reléguée en hauteur en « lastminute » sur le stand du Mondial 2014. Un profond sentiment d’injustice après tous les efforts fournis pour faire aboutir le projet, mais ça n’empêchera pas son succès commercial !
(source : caradisiac.com)

Qu’importe, les chiens ont beau aboyer, la caravane passe… Mission accomplie pour Adeline et moi, les voitures seront lancées, la campagne de communication aussi, et les 550 exemplaires de cette première série s’écouleront très facilement, au point de refaire la même en 2017, à 1 000 unités cette fois-ci ! Et au point de s’en inspirer pour en faire encore une autre sur base DS 3 Crossback en 2020, à 1 500 exemplaires. Il faut croire que le concept n’était finalement pas si mauvais, n’est-ce pas la Direction Produits Marchés ?

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