COMMENT FAIRE… POUR « INFUSER » DES AUTOS A SON RESEAU ?

« – Bon, alors, tu me les prends, mes porte-8, oui ou… ?
– Non mais t’es sérieux, là ? J’en ai déjà plein la cour du déstockage précédent ! »
(image générée par IA, librement inspirée de la vraie vie…)

En conséquence de la loi de l’offre et de la demande qui régit les échanges commerciaux, il arrive régulièrement que les stocks centraux des Constructeurs automobiles généralistes finissent par déborder. Pour absorber ce trop-plein, la solution la plus courante et « pratique » est alors le déstockage dans le Réseau, une sorte d’opération commando en mode gavage d’oie, avec le DM Ventes pour tenir l’entonnoir. Souvenirs d’Opel France au tournant de ce siècle…

La vie d’un Constructeur et de son réseau, à la fois choisie et contrainte en mode « je t’aime, moi non plus », n’est pas toujours un long fleuve tranquille, comme nous le rappelle l’exemple récent de Stellantis. Des crises, il y en a régulièrement, en témoigne l’archive ci-dessous, même s’il est rarissime que le Constructeur reconnaisse ses torts aussi franchement par écrit.

    Lettre envoyée au Réseau Opel en 1997 suite à réunion la veille avec le TOP (comité représentatif des Concessionnaires).
    Visiblement, ça avait bien chauffé… (collection personnelle)

    Par leurs enjeux en termes d’immobilisation financière comme foncière, les déstockages sont eux aussi un point régulier de crispation dans la relation entre les parties prenantes, sans compter qu’ils interfèrent dans la politique commerciale de la Concession en l’amenant à se stocker en véhicules pour lesquels elle n’a pas forcément une demande naturelle.

    Septembre 2000. Au bout d’un an comme DM (District Manager, soit Responsable de Secteur) Après-Vente dans « mon » Sud-Ouest, j’ai l’opportunité, à l’occasion d’une énième réorganisation, de me rapprocher du VN en tant que DM Ventes, sur Bourgogne Franche-Comté. J’hérite alors d’un district tentaculaire formant un triangle Montargis / Belfort / Macon. A raison de la visite de 2 Concessions par jour et 4 jours par semaine, je ne vais compter ni les kilomètres, ni les heures de route pendant les 6 mois suivants !

    Je quitte un contexte Après-Vente compliqué (double crise de qualité / fiabilité et d’approvisionnement des Pièces de Rechange) pour un contexte Ventes qui ne l’est pas tellement moins. En effet les problèmes d’Après-Vente commencent à rejaillir sur l’activité Ventes. De plus, l’offre Produit est à la peine sur notre marché national : au niveau des produits de volume, la Vectra a commencé à vieillir prématurément, l’Astra vivote, et seul le Zafira arrive à redonner quelques couleurs à ce tableau. Au milieu de tout ça, la Corsa, fer de lance de la Marque sur un segment crucial en France, est à la peine. Elle vient tout juste d’être renouvelée et le lancement de cette troisième génération ne se passe pas du tout comme espéré : le produit est trop terne comparé à son prédécesseur, il manque des versions majeures au démarrage (5 portes, Diesel), le positionnement prix évolue trop brutalement vers le haut du segment, et pour ne rien arranger le Siège n’apporte aucun soutien commercial (= financier) pour aider le Réseau, considérant que la nouveauté devrait se suffire à elle-même pour se vendre.

    Et ce qui devait arriver arriva : malgré le Mondial de Paris censé être un accélérateur commercial, la voiture ne se vend pas et le lancement est un fiasco. Pour le Siège qui, par définition, sait tout, c’est forcément le Réseau qui est en cause. Première mesure d’urgence : une extra journée de formation pour tous les commerciaux afin de les re-« piquouser » aux vertus du « Produit qu’il est bon ». Et puis deuxième mesure, le bouton nucléaire : le déstockage, en décembre ! Histoire de transférer au maximum la charge financière du stock central vers les bilans du Réseau en cette fin d’année…

    Les volumes en jeu, à la hauteur du désastre, sont plus que conséquents, de l’ordre d’une centaine de voitures d’un coup par point de vente pour des grosses Concessions. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, on en profite pour fourguer aussi les stocks résiduels de Coupé Astra 1 .8 16V 115 ch (petit moteur pas très demandé) de dotation de lancement qui traînent depuis le printemps dernier : des Jaune Capri (le jaune doré…) et des Bleu Nocturne intérieur cuir rouge qui avaient été imposés contre l’avis du Terrain (« on vous force cette configuration parce que sinon vous n’en vendrez jamais ! »). Enfin, cerise sur le gâteau, chaque District se voit imposer une licorne (là encore un « nanar » croupissant en stock) à infuser, pour le mien ce sera une Vectra GPL…

    Ce n’était pas, loin s’en faut, le premier déstockage de l’Histoire. Mais, traditionnellement, ils avaient plutôt lieu pour écouler des fins de série (Monza GSE par exemple…) en étant assortis de conditions financières très avantageuses. Là, en ce qui concerne les Corsa, l’accompagnement fut réduit au strict minimum (financement des déstockées avec 6 mois d’agios gratuits et c’est tout) et les volumes imposés reflétaient les handicaps du mix de lancement, avec des « sapins de Noël » (remarque, c’était de saison !), et quasiment pas de 5 portes ni de Diesel . En résumé, immobilisations financières et foncières pour des autos qui auraient pu être commandées par ailleurs et au fil de la demande naturelle, sans toutes ces contraintes ! Et cadeau bonus pour pimenter les fêtes, un « petit » moyen de pression non écrit : la menace par Gérard Saint-Martin, Président de General Motors France, de ne verser aucune prime ni soutien commercial (« plan de volume ») en 2001 aux points de vente ne jouant pas le jeu du déstockage ! De quoi faire réfléchir…

    Autant dire qu’en tant que DM, situé en première ligne au contact du Réseau, la tâche (on peut dire le sale boulot) fut plus qu’ardue, pris entre le marteau et l’enclume (c’est l’essence du job) et sans contrepartie significative ou monnaie d’échange à proposer à nos interlocuteurs, en dehors de nos « bonnes » relations. Ce déstockage n’atteindra d’ailleurs ses objectifs qu’à environ 80% au National (alors qu’ils étaient faits habituellement à plus de 95%), et sa brutalité laissera des traces dans la mémoire collective des Concessionnaires. Au demeurant, la situation commerciale ne s’arrangera pas pour autant et amènera un peu plus tard Gérard Saint-Martin à envoyer la délicieuse missive que je reproduis ci-dessous, histoire de répercuter à son Réseau la pression qu’il devait sérieusement avoir lui-même ?

    « Le Président » Gérard Saint-Martin dans toute sa délicatesse et avec son tic typographique : l’usage immodéré des guillemets.
    (collection personnelle sauvée d’une poubelle après avoir été chiffonnée de rage et de mépris par son destinataire)

    Le moins que l’on puisse dire est que ce courrier, et notamment son « alors au travail » dédaigneux et menaçant, est resté en travers de la gorge de beaucoup, déjà éprouvés par les crises d’Après-vente et une offre Produit bien en dessous des « grandes » années, alors qu’ils s’efforçaient de faire leur maximum ne serait-ce que pour faire tourner leurs affaires et payer leur personnel…

    Opel ne sera jamais à nouveau leader du marché français, et, un an plus tard, « GSM » brouillait l’écoute en se faisant éjecter par General Motors Europe sans autre forme de procès, pour retourner à l’anonymat qu’il aurait mieux fait de ne jamais quitter…

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